Olivier Favereau

Professeur émérite à l’Université Paris Nanterre

Jamais la création d’un M2 (ça s’appelait alors un DEA) n’aura été aussi facile ni réalisée dans un climat aussi amical : entre Michel Aglietta, Robert Boyer, Jean Cartelier, Jean-Pierre Dupuy, François Eymard-Duvernay, André Orléan, Robert Salais, Laurent Thévenot … deux après-midis de travail auront suffi pour poser les lignes directrices d’une formation au niveau préparatoire à une thèse (mais pouvant aussi déboucher sur une activité professionnelle), dans un nouveau rapport à l’économie. Principe général : pluralisme et exigence intellectuelle, décliné en deux règles de formation : la première concerne le volet critique (en particulier de la théorie orthodoxe, mais pas uniquement) – on ne doit critiquer que la version la plus sophistiquée de la théorie que l’on veut critiquer. Par conséquent, il faut très bien la connaître, et la présenter même sous son jour le plus favorable (ce qui n’en donnera que plus de force au choix d’établir son camp de base ailleurs) ; la seconde concerne le volet positif et reconstructif : il faut présenter aux étudiants tous les courants de l’économie institutionnaliste, en leur consacrant autant de temps et d’attention ; aucun ne doit apparaître comme s’imposant a priori. Le choix appartient aux étudiants au moment de la sélection des séminaires et des directeurs de mémoire. L’expérience prouve alors que cela crée le même état d’esprit chez les étudiants que chez les enseignants : amical sur un plan interpersonnel et exigeant sur le plan personnel – chacun se demandant ce qui lui convient le mieux. Ces deux propriétés créent un écosystème entièrement tourné vers la quête intellectuelle – et se sont transmises de façon naturelle à la succession non moins naturelle des équipes d’enseignants, au fur et à mesure des départs et des arrivées. Cette orientation sur le fond s’est prolongée sur les questions de méthode. Le principe général bis est que l’économie fait partie des sciences humaines et sociales, et que l’étudiant devra choisir, avec l’aide de ses directeurs de mémoire, les méthodes d’investigation et de preuve, les plus appropriées à son objet, lui-même éminemment varié. On peut faire un travail de recherche totalement formalisé, de théorie économique abstraite, ou totalement qualitatif, à la frontière de la sociologie, du droit ou de la gestion. Mais avec l’idée que le mieux, à la fois le plus novateur et le plus difficile, serait d’articuler l’un et l’autre. Si ce Master 2 est toujours aussi vivant et attractif, alors qu’il y a eu un changement complet de génération, et que les débats économiques se sont considérablement déplacés (mais peut-être pas sur les fondements), c’est sans doute qu’il incarne le meilleur de la tradition universitaire, à un moment où celle-ci est menacée par le formatage et la marchandisation – comme l’est justement toute la société actuelle.

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